Brevet européen et priorité d'une demande de brevet d'un état non membre à la Convention de Paris (G 2/02)

10.01.2005

Le 26 avril 2004, la Grande Chambre de Recours de l'OEB a rendu sa décision relative à la revendication du droit de priorité d'un premier dépot effectué dans un état non partie à la Convention d'Union de Paris mais membre de l'Accord ADPIC/OMC.



Les faitsUne société déposante avait revendiqué les priorités de deux demandes de brevets déposées en Inde à travers deux demandes PCT.A l'ouverture de la phase régionale devant l'OEB, la section de dépot a rejeté les requêtes en revendication de priorité.Les demandes avaient été déposées le 12 mars 1996, revendiquant les priorités de demandes indiennes des 13 et 23 mars 1995.L'Inde a adhéré à l'OMC, y compris à l'Accord sur les ADPIC, avec effet au 1er janvier 1995. Le 3 janvier 1995, le gouvernement indien a publié, dans la "Gazette of India", une notification selon laquelle chaque Etat membre de l'OMC était reconnu, avec effet immédiat, en tant que "pays conventionnel" pour toutes les dispositions de la Loi sur les brevets, 1970, de sorte que l'Inde était notamment tenue de reconnaître les priorités de tous les Etats membres de l'Accord sur les ADPIC. Toutefois, la notification publiée dans la "Gazette of India" ne mentionnait pas l'Office européen des brevets.Ni l'Organisation européenne des brevets, ni son organe exécutif, l'OEB, ne sont parties à l'Accord sur les ADPIC/OMC, et aucun de ces instruments ne contient de disposition leur permettant d'y adhérer. L'Inde est ensuite devenue partie à la Convention de Paris avec effet au 7 décembre 1998. Depuis cette date, l'OEB reconnaît les priorités revendiquées de premiers dépôts effectués en Inde, conformément à l'article 87(1) CBE. Par la suite, le gouvernement indien a annoncé qu'il était désormais possible de revendiquer en Inde la priorité de premiers dépôts effectués dans tous les Etats parties à la Convention de Paris.Cependant, dans les deux cas, il n'était de nouveau fait nulle mention de l'OEB. Ce n'est que lorsqu'une notification en date du 20 mai 2003 a été publiée dans la "Gazette of India" que l'OEB a été ajouté à la liste de pays, y compris des groupes ou unions de pays et des organisations intergouvernementales, qui étaient reconnus comme pays parties à la Convention de Paris.Motifs de la décisionDispositions de la CBE concernant la reconnaissance de prioritéLa présente affaire concerne l'article 87 CBE, qui traite de la reconnaissance des droits de priorité pour les premiers dépôts effectués dans des Etats parties à la Convention de Paris. Cet article prévoit notamment ce qui suit :« 1) Celui qui a régulièrement déposé, dans ou pour l'un des Etats parties à la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle, une demande de brevet d'invention [... ] ou son ayant cause, jouit, pour effectuer le dépôt d'une demande de brevet européen pour la même invention, d'un droit de priorité pendant un délai de douze mois après le dépôt de la première demande....5) Si le premier dépôt a été effectué dans un Etat qui n'est pas partie à la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle, les dispositions des paragraphes 1 & 4 ne s'appliquent que dans la mesure où, suivant une communication publique du Conseil d'administration, cet Etat accorde, en vertu d'accords bilatéraux ou multilatéraux, sur la base d'un premier dépôt effectué auprès de l'Office européen des brevets, ainsi que sur la base d'un premier dépôt effectué dans ou pour tout Etat contractant, un droit de priorité soumis à des conditions et ayant des effets équivalents à ceux prévus par la Convention de Paris. »L'Inde n'ayant fait aucune déclaration selon laquelle elle reconnaîtrait les priorités fondées sur des premiers dépôts européens, la condition de réciprocité avec l'OEB prévue dans l'article 87(5) CBE n'était pas remplie.Suite à l'adhésion de l'Inde à la Convention de Paris le 7 décembre 1998, l'OEB a souligné le problème des revendications de priorité fondées sur des demandes déposées avant l'adhésion de l'Inde à la Convention de Paris, et déclaré qu'il accepterait ces revendications de priorité si l'Inde agissait de même en ce qui concerne les premiers dépôts européens.En juillet 2003, le gouvernement indien a fait savoir que l'Inde reconnaissait l'OEB en tant que "pays conventionnel", aux fins de pouvoir revendiquer en Inde la priorité de demandes de brevet déposées à l'OEB à partir du 20 mai 2003. Situation avant le 20 mai 2003 Conformément aux principes généraux du droit international, un traité ne crée ni obligations ni droits pour un Etat tiers ou une organisation internationale tierce sans son consentement. Une telle obligation ne naît que si les parties entendent la créer et que l'Etat tiers ou l'organisation tierce accepte expressément par écrit cette obligation (article 34 des Conventions de Vienne de 1969 et de 1986). Par conséquent, l'Accord sur les ADPIC ne peut créer d'obligations pour l'OEB qu'avec son consentement écrit, conformément aux dispositions de la CBE.En tant qu'organisation de droit international public, l'Organisation européenne des brevets dispose de son propre système juridique interne. La CBE prévoit un système juridique autonome pour la délivrance de brevets européens. En termes juridiques, ni la législation des Etats contractants, ni les conventions internationales signées par ces Etats ne font partie de ce système juridique autonome. L'OEB n'est pas lui-même membre de l'OMC et de l'Accord sur les ADPIC. Par conséquent, les obligations découlant de l'Accord sur les ADPIC ne lient pas l'OEB directement, mais seulement les Etats parties à la CBE qui sont membres de l'OMC et de l'Accord sur les ADPIC.Il convient également de mentionner l'article 66 CBE, selon lequel une demande de brevet européen à laquelle une date de dépôt a été accordée a, dans les Etats contractants désignés, la valeur d'un dépôt national régulier, compte tenu, le cas échéant, du droit de priorité respectif. On peut conclure de cette disposition, en combinaison avec l'article 4 A(2) de la Convention de Paris, que les Etats membres de la Convention de Paris et les membres de l'OMC sont tenus de reconnaître les demandes de brevet européen comme ayant la valeur de dépôts nationaux réguliers dans les Etats parties à la CBE. Toutefois, la disposition précitée ne prévoit pas de mécanisme qui obligerait l'OEB à reconnaître les priorités de dépôts effectués dans des Etats qui ne sont pas parties à la CBE ou à la Convention de Paris, à moins que les mesures formelles requises par l'article 87(5) CBE aient été prises et qu'une communication correspondante ait été publiée par le Conseil d'administration de l'Organisation.En résumé, les dispositions de l'Accord sur les ADPIC sont, à l'instar des décisions des Cours européenne et internationale de justice et des décisions nationales, des éléments à prendre en considération par les chambres de recours, mais qui ne les lient pas. S'il est légitime que les chambres de recours fassent appel à l'Accord sur les ADPIC pour interpréter des dispositions de la CBE qui prêtent à différentes interprétations, des dispositions particulières de l'Accord sur les ADPIC ne sauraient justifier que l'on méconnaisse des dispositions expresses et non ambiguës de la CBE.Pour toutes ces raisons, la Grande Chambre de recours a conclu qu'il n'existe aucune base juridique pour que l'OEB applique l'Accord sur les ADPIC. Il est à noter que l'article 87, paragraphes 1 et 5 CBE a été modifié en l'an 2000 de façon à permettre à l'OEB de reconnaître les premiers dépôts effectués dans un Etat membre de l'OMC comme donnant naissance à un droit de priorité. Ce texte révisé n'est pas encore entré en vigueur. Il n'entrera en vigueur que deux ans après sa ratification par quinze Etats contractants, ou - si cette date est antérieure - le premier jour du troisième mois suivant sa ratification par l'Etat contractant qui procède le dernier de tous à cette formalité. DispositifPar ces motifs, il est statué comme suit :L'Accord sur les ADPIC n'autorise pas le déposant d'une demande de brevet européen à revendiquer la priorité d'un premier dépôt effectué dans un Etat qui, aux dates pertinentes, n'était pas partie à la Convention de Paris, mais qui était membre de l'Accord sur les ADPIC/OMC.