Cour d’Appel de Paris Décision 21/08514 du 25/05/2022

27.07.2022


Recours de la Société X contre une décision de l’INPI concernant le rejet de la demande de certificat complémentaire de protection (CCP) n° 17C1046 (n°046) portant sur le produit « Avélumab ».
La Société X a déposé le 14 novembre 2017 la demande de CCP n°046 mentionnant le brevet de base européen déposé le 23 août 2000, publié sous le n° EP 1210424 (EP 424) et délivré le 7 février 2007 sous le titre 'Nouvelles molécules B7-4 et leurs utilisations'. Ce brevet porte sur la découverte de nouvelles molécules, les protéines B7-4 (appelées plus tard PD-L1), qui sont utiles pour moduler la réponse immunitaire, menant à une nouvelle façon de traiter le cancer appelée 'immunologie du cancer'. Le brevet revendique également les anticorps susceptibles de se lier avec lesdites protéines.
La demande de CCP fait également référence à une autorisation de mise sur le marché (AMM) communautaire octroyée à la société Y le 18 septembre 2017, sous le n°EU/1/17/1214 pour la spécialité pharmaceutique Bavencio, ayant pour principe actif l'avelumab.
L'examen de l'INPI a abouti à une décision de rejet de la demande de CCP n° 046 au motif que la demande de CCP ne satisfait pas aux conditions de l'article 3a) du Règlement n°469/2009.
Dans la décision contestée, le directeur général de l'INPI a considéré que le brevet ne contient aucune indication permettant de considérer que le produit est identifiable de manière spécifique par l'homme du métier à la date de priorité, les informations divulguées dans le brevet de base relatives notamment aux procédés d'évaluation fonctionnelle des anticorps et aux moyens pour humaniser un anticorps anti-B7-4 étant insuffisantes pour lui permettre d'identifier spécifiquement l'avélumab, lequel a été divulgué par le brevet n° US 9624298 déposé le 28 novembre 2011, postérieurement au brevet EP 424, par la société Y, de sorte que le brevet EP 424 ne porte pas de manière spécifique sur l'avélumab et que le produit, objet du CCP, a été développé après la date de dépôt de la demande du brevet de base, au terme d'une activité inventive autonome.
Il en conclut que la demande de CCP porte sur un principe actif qui n'est pas protégé par le brevet de base invoqué et qu'elle ne satisfait donc pas à la condition de l'article 3a) du règlement.
La société X soutient que l'avelumab est protégé par le brevet EP 424 au sens de l'article 3 a) du règlement. Elle rappelle que la jurisprudence de la CJUE consacre le principe que le produit peut être revendiqué de façon exclusivement fonctionnelle, le produit n'ayant pas à être identifié en tant que tel dans le brevet, à condition que le produit soit implicitement couvert par la définition fonctionnelle, qu'il soit considéré comme une caractéristique nécessaire pour la solution du problème technique divulguée par le brevet, et que ce produit soit spécifiquement identifiable par l'homme du métier à la lecture du brevet et de ses connaissances générales.
Il résulte des directives de l'OEB relatives à 'l'activité inventive des anticorps', que 'L'objet d'une revendication définissant un nouvel anticorps qui se lie à un antigène connu n'implique pas d'activité inventive à moins qu'un effet technique surprenant ne soit démontré dans la demande. Des exemples d'effets techniques surprenants sont : une réactivité croisée inattendue entre espèces ou un nouveau type de format d'anticorps ayant une activité de liaison avérée'.
Il résulte du brevet de base que les méthodes pour la génération et l'identification d'un anticorps dirigé contre un antigène donné constituent des techniques de routine pour l'homme du métier à la date de priorité et qu'en conséquence, lorsque l'antigène ciblé est déjà connu, la découverte d'un anticorps se liant avec cet antigène ne relève pas d'une activité inventive.
Le fait que la société Y a déposé un brevet américain US9624298 le 28 novembre 2011 concernant des anticorps anti PD-L1 couvrant notamment l'avélumab ne suffit pas à démontrer que l'avélumab, objet de l'AMM litigieuse, a été développé au terme d'une activité inventive autonome après la date de dépôt du brevet de base EP 424. Le brevet de la Société Y n'a finalement été considéré comme inventif qu'en raison d'une réactivité croisée inter-espèces de l'anticorps A09-246-2 (nom de code de l'avélumab), la réactivité croisée consistant en la capacité pour un même anticorps à se combiner à des antigènes différents.
Or, l'AMM obtenue le 18 septembre 2017 pour l'avélumab, sur la base de laquelle est formée la présente demande de CCP, renvoie au seul anticorps 'dirigé contre le ligand de la protéine PD-L1", qui 'se lie au PD- L1 et bloque l'interaction entre le PD-L1 et ses récepteurs', et non à une réactivité croisée inter-espèces.
Il se déduit de ces éléments, sur la base des connaissances générales de l'homme du métier et de l'état de la technique à la date de priorité du brevet EP 464, que l'anticorps monoclonal humain avélumab était spécifiquement identifiable à la lumière des enseignements dudit brevet par l'homme du métier, par des essais de routine connus et maîtrisés, qui peuvent être longs et fastidieux, mais ne procèdent pas d'une activité inventive autonome.
Enfin, il n'est pas contesté que l'invention couverte par le brevet EP 424 est une invention de rupture à l'origine de la commercialisation de plusieurs anticorps tel que l'avélumab ayant un impact décisif en matière de santé publique dans la lutte contre le cancer ; la société X, dont le brevet EP 424 a expiré le 23 août 2020, n'a pu recevoir de redevances qu'à compter du 18 septembre 2017 (date de l'AMM) soit pendant une période de moins de trois ans, étant observé qu'il n'est pas allégué qu'elle a déjà obtenu un CCP pour ce brevet.
Ainsi, octroyer un CCP à la société X dans les circonstances de l'espèce n'est pas contraire aux objectifs et à l'économie générale du règlement n° 469/2009 qui vise, afin d'encourager la recherche et de permettre un amortissement des investissements effectués dans ladite recherche ainsi que rappelé au considérant 4 du règlement, à rétablir une durée de protection effective suffisante du brevet de base en permettant à son titulaire de bénéficier d'une période d'exclusivité supplémentaire à l'expiration de ce brevet, destinée à compenser, au moins partiellement, le retard pris dans l'exploitation commerciale de son invention en raison du laps de temps qui s'est écoulé entre la date du dépôt de la demande de brevet et celle de l'obtention de la première AMM dans l'Union.
Il y a lieu en conséquence d'annuler la décision du directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle du 3 février 2021 portant rejet de la demande de CCP n° 17C1046.