Cour d'appel de Paris, pôle 5, 2ème Ch., 4 février 2022, 20/07061

21.10.2022


L’Association X et autres personnes physiques ont fait appel du jugement du tribunal judicaire de Paris qui a jugé les demandeurs irrecevables en leur action tendant à voir prononcer la nullité de la partie française du brevet EP 2 885 005 de la Société Y.
La société Y est titulaire du brevet EP 2 885 005 (EP 005) intitulé 'Préparation pharmaceutique solide contenant de la lévothyroxine' déposé le 1er août 2013 et délivré le 27 septembre 2017.
Les enseignements de ce brevet sont mis en œuvre pour la fabrication et la commercialisation de Levothyrox NF (NF pour nouvelle formule), une spécialité contenant de la levothyroxine sodique (principe actif) indiquée dans le traitement de l'insuffisance thyroïdienne. La nouvelle formule s'est vue accorder l'AMM le 27 septembre 2016 et a été mise sur le marché français en mars 2017.
139 personnes physiques se présentant comme étant des patients qui, prenant du Levothyrox NF après avoir pris l'ancienne formule, ont subi des effets indésirables en raison de ce changement, ont assigné la société Y devant le tribunal de grande instance de Paris en nullité de la partie française du brevet EP 005 pour insuffisance de description, défaut de nouveauté et défaut d'activité inventive. La société Y a opposé une fin de non recevoir pour défaut d'intérêt des demandeurs à agir en nullité du brevet.
Le tribunal a rendu le jugement, dont appel, déclarant les demandeurs irrecevables, faute de justifier d'un intérêt à agir, à demander la nullité de la partie française du brevet EP 005.
L'intérêt légitime s'entend d'un intérêt personnel, né et actuel, et non pas éventuel, ce dont il s'ensuit qu'une personne ne peut agir en justice que dans la mesure où la violation d'un droit l'atteint dans ses intérêts propres et où le résultat de l'action lui profitera personnellement en améliorant sa situation juridique et /ou économique.
Les Appelants affirment que l'objectif recherché en demandant la nullité de la partie française du brevet EP 005 est d'obtenir de la société Y qu'elle remette sur le marché l'ancienne formule du Levothyrox qu'elle commercialisera aux côtés de la nouvelle formule. Ils soutiennent qu'un tel objectif ne peut être atteint tant que le monopole d'exploitation que lui confère le brevet permet à la société Y de réaliser sur le médicament breveté des marges beaucoup plus avantageuses.
Or, la commercialisation d'un médicament n'est pas subordonnée à l'existence d'un brevet pour ce médicament mais à l'octroi, par l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) d'une autorisation de mise sur le marché (AMM).
En l'espèce, le Levothyrox ancienne formule ne bénéficie plus à l'heure actuelle d'une AMM en France en conséquence de quoi, la société Y ne peut le commercialiser, pas plus qu'elle ne pourrait être contrainte de le commercialiser par le juge judiciaire.
Il en découle que l'action en nullité de la partie française du brevet EP 005, si elle aboutissait, ne permettra pas de voir reprendre, ipso facto, la commercialisation du Levothyrox ancienne formule.
C'est dès lors à juste raison que le tribunal a considéré que le lien de causalité entre l'action en nullité de la partie française du brevet EP 005 engagée par les appelants et le résultat escompté, à savoir la reprise par la société Y de la commercialisation du Levothyrox ancienne formule en France apparaît purement hypothétique de sorte que ceux ci ne justifient pas d'un intérêt légitime, personnel, né et actuel à agir .
Le jugement déféré est en conséquence confirmé en ce qu'il a déclaré les demandeurs irrecevables à agir pour défaut d'intérêt