COUR D'APPEL DE PARIS - 8 février 2023 - 20/10389

15.06.2023

Contrefaçon par équivalence, fourniture de moyens



La société X se présente comme l'un des leaders mondiaux sur le marché de l'isolation thermique et acoustique. Elle est titulaire du brevet européen EP 2 238 303 (ci-après « EP 303 ») ayant pour intitulé « Dispositif de doublage d'une paroi » et désignant la France.
La société Y commercialise une gamme de produits d'isolation à partir de laine de verre, laine de roche ou laine de bois, parmi lesquels des suspentes de fixation d'une garniture d'isolation sur une paroi sous les références « suspente RT Max » et « suspente RT Plus » décrites comme permettant de maintenir la garniture d'isolation contre le mur ou le toit devant être isolé et de fixer également devant celle-ci une membrane pare-vapeur.
La société X a fait assigner la société Y sur le fondement de la contrefaçon de brevet.
Le brevet européen EP 2 238 303 concerne le doublage des parois et plus particulièrement, un dispositif de doublage comportant au moins un accessoire d'entretoisement placé transversalement entre la paroi à doubler et une cloison de doublage ainsi maintenue à distance de ladite paroi.
Contrefaçon par reproduction
Les caractéristiques de la revendication 1 peuvent être découpées comme suit :
« a. Dispositif de doublage d'une paroi (1, 2), comportant
b. au moins un accessoire d'entretoisement (10, 11)
c. comportant une tige (12),
d. dont une extrémité est pourvue de moyens (13-15, 18) de sa fixation à un élément de structure de la paroi à doubler (1, 2)
e. et dont l'autre extrémité est pourvue de moyens de son assemblage avec une cloison de doublage (30),
f. une membrane (32), pare-vapeur ou freine-vapeur à embrocher sur les tiges (12) des accessoires d'entretoisement (10, 11),
f'. au moins une couche de matériau isolant fibreux embrochée sur la tige caractérisé en ce que
g. l'un au moins des accessoires d'entretoisement (10, 11) comporte deux mâchoires (19, 34)
h. entourant la tige (12)
i. et des moyens de verrouillage avec serrage axial (21, 25, 35) de ces deux mâchoires l'une contre l'autre,
j. ces deux mâchoires (19, 34) pinçant entre elles, après verrouillage, la membrane (32)
k. à la périphérie de son ouverture d'embrochement. »
Le dispositif RT MAX, commercialisé par la société Y, est une suspente permettant de maintenir la garniture d'isolation contre un mur ou un toit devant être isolé. Ce produit comporte deux pièces : une tige pouvant être fixée sur la paroi à doubler et une tête de verrouillage.
Le fait que le produit « RT MAX » soit constitué seulement de deux éléments, à savoir une tige et une seule tête de verrouillage, et non de trois, exclut la contrefaçon littérale de la revendication 1 du brevet, qui doit être interprétée comme protégeant un accessoire d'entretoisement composé de trois pièces, soit une tige et deux mâchoires.
La cour considère que le nombre de pièces de l’invention et, en particulier la présence de deux mâchoires amovibles, est une caractéristique essentielle de la solution revendiquée puisque relevant de la partie caractérisante de la revendication 1 et que le pincement de la membrane par ces deux mâchoires est un moyen essentiel enseigné pour atteindre un des objectifs revendiqués, à savoir assurer l'intégrité et l'étanchéité de cette membrane à la périphérie de son ouverture d'embrochement.
Contrefaçon par équivalence
Subsidiairement, la société X soutient qu'il y aurait reproduction par équivalence de la revendication 1 par le système RT MAX.
Même si les caractéristiques revendiquées ne sont pas strictement reproduites, la contrefaçon par équivalence est caractérisée, à partir du moment où, bien que les moyens du produit contrefaisant soient de forme différente par rapport à ceux décrits par l'invention, ils exercent la même fonction, c'est-à-dire le même effet technique, et procurent ainsi un résultat semblable à celui décrit par l'invention. La contrefaçon par équivalence de moyens suppose cependant que le moyen breveté n'exerce pas une fonction connue.
Dans le dispositif RT MAX, le faible diamètre de la butée, dont on peut considérer qu'elle entoure la tige, comparé à celui de la tête de verrouillage ne permet pas de constater et d'établir que la membrane se trouve pincée entre ces deux éléments à la périphérie de son ouverture d'embrochement, comme le revendique le brevet. En effet, dans RT MAX, le pincement s'effectue à l'intérieur même de la tête de verrouillage, au niveau même de l'ouverture d'embrochement.
La butée ou collerette du produit Y ne produit absolument pas le même effet technique que la seconde mâchoire décrite dans le brevet de la société X, à savoir celui de comprimer la membrane entre les deux mâchoires pour limiter la zone possible d'altération ou de déchirure et de garantir ainsi son étanchéité.
Ainsi, si la butée contribue au maintien et à la stabilité de la membrane et en partie à son étanchéité, il n'est pas établi qu'elle assure la fonction décrite dans le brevet qui est, non seulement, de comprimer la zone périphérique du percement pour empêcher tout passage d'air mais également de limiter la surface de propagation des déchirures.
Le tribunal en a déduit que la contrefaçon par équivalence de la revendication 1 n'est pas établie.
Sur la contrefaçon par fourniture de moyens par la société Y
La société X soutient que la livraison et l'offre de livraison en France des suspentes (qui constituent l'un des éléments du dispositif de la revendication 1), des membranes et des isolants, même seules, sont des actes de contrefaçon par fourniture de moyens.
La cour rappelle que le caractère spécial et dérogatoire de l’article L. 613-4 du CPI, qui étend la protection conférée par le brevet au-delà des revendications, impose une interprétation stricte de chacune des conditions d'application de cet article. Le moyen doit se rapporter à un élément essentiel du brevet, soit un élément constitutif de l'invention et qui participe à son résultat, dès lors qu'il est apte et destiné à la mise en œuvre de l'invention brevetée.
Dans la mesure où il a été jugé que les systèmes RT PLUS et RT MAX ne constituaient pas une contrefaçon du brevet EP 303, ils ne peuvent être considérés comme des moyens de mise en œuvre en France d'un élément essentiel de celui-ci.
En conséquence, le tribunal a débouté la société X de ses demandes fondées au titre de la contrefaçon littérale, par équivalence et par fourniture de moyens.