AUTOLIBERTÉ : un néologisme distinctif

06.07.2015

Par une décision du 11/06/2014, la Cour d’appel de Paris conclut au caractère distinctif du néologisme « Autoliberté » pour désigner un service de location automobile :



Par une décision du 11/06/2014, la Cour d’appel de Paris conclut au caractère distinctif du néologisme « Autoliberté Â» pour désigner un service de location automobile :« Considérant que le terme « Autoliberté Â» peut suggérer l’idée d’automobile et de liberté mais ne désigne ni ne décrit un genre particulier d’activité, de produit ou de service ; qu’il n’apparaît ni nécessaire pour nommer un service de location automobile ni descriptif des caractéristiques attachées à ce type de service ; Considérant en effet que ce néologisme n’a aucune signification dans le langage courant pour désigner des services de location de voitures et ne correspond pas à un mode habituel de désignation de ce type de service ou de l’une de ses caractéristiques ; que le terme « Autoliberté Â» ne sera pas compris et immédiatement perçu par le public concerné (à savoir le grand public) comme pouvant désigner un service de location de voitures ; Considérant en conséquence que le signe AUTOLIBERTÉ s’éloigne des modalités habituelles de désignation des services de location automobile dans le langage courant et présente bien un caractère distinctif. Â»Par cette décision, la Cour d’appel de Paris enrichit la jurisprudence relative à l’appréciation du caractère distinctif des néologismes en droit des marques.Faits : La société EUROPCAR International est titulaire de deux marques (française et communautaire) verbales AUTOLIBERTÉ pour lesquelles elle a concédé une licence d’exploitation à la société EUROPCAR France.La société LPA a acquis le fonds de commerce de l’association « La Voiture Autrement Â» dont la marque française « Autolib’ Une voiture juste quand il faut Â» déposée le 23.04.2007 pour désigner des produits et services en classe 12, 37 et 39 dans le cadre de l’exercice d’une activité de location de courte durée de véhicules automobiles.Les sociétés EUROPCAR susvisées ont fait assigner la société LPA en contrefaçon de marques et concurrence déloyale.Par une demande reconventionnelle, la société LPA requiert la nullité des marques AUTOLIBERTÉ susvisées.Solution :La Cour d’appel de Paris infirme le jugement du TGI de Paris en décidant que : -          Les marques AUTOLIBERTÉ sont distinctives et de ce fait valables-          Le dépôt de la marque Autolib’ susvisée constitue une contrefaçon des marques AUTOLIBERTÉ-          La société LPA a commis des actes de concurrence déloyale à l’encontre de la société EUROPCAR France.Seul le premier point concernant le caractère distinctif des marques AUTOLIBERTÉ retiendra notre attention dans la mesure où les deux autres points en découlent et font l’objet d’une analyse très classique.L’on rappelera simplement ici que pour être valable, une marque doit être distinctive c’est-à-dire selon les dispositions des articles L711-1 et L711-2 a) et b) du Code de la propriété intellectuelle, qu’elle ne doit pas être la désignation Â« nécessaire, générique ou usuelle Â» dans le langage courant ou professionnel du produit ou du service. De plus, le signe en cause ne doit pas être descriptif du produit ou du service, de sa nature, de sa destination ou de sa qualité.En l’espèce, la dénomination AUTOLIBERTÉ est un néologisme c’est-à-dire selon le dictionnaire Larrousse : Â« Tout mot de création récente ou emprunté depuis peu à une autre langue ou toute acception nouvelle donnée à un mot ou à une expression qui existaient déjà dans la langue Â».Concrètement, il peut s’agir d’une association inédite  de mots du langage courant ou d’une acception nouvelle donnée à un mot ou à une expression déjà existante. En l’espèce, la dénomination AUTOLIBERTÉ est une combinaison des termes : « AUTOMOBILE Â» et « LIBERTɠ».De nombreuses décisions des juridictions françaises et communautaires concernent des néologismes  formés à partir de  termes existants.D’une manière générale, la jurisprudence considère valables les marques simplement évocatrices telles les marques formées de deux éléments descriptifs, dès lors que l’ensemble constitué n’est pas une combinaison usuelle pour le public concerné. Par exemple,  dans une décision du 01/06/2005, la Cour d’appel de Paris a  considéré que la dénomination « Nutri-Rich Â» était valable pour désigner des huiles de soins de la peau bien que les éléments qui la composent soient perçus comme des abréviations des termes « nutrition Â» et « riche Â», Â« compte tenu de la modification inhabituelle syntaxique et sémantique Â» de ces termes .En l’espèce, les juges d’appel ont considéré que le signe  AUTOLIBERTÉ était simplement évocateur de « l’idée d’automobile et de liberté mais ne désigne ni ne décrit un genre particulier d’activité, de produit ou de service Â» et qu’il n’était Â« ni  nécessaire pour nommer un service de location automobile ni descriptif des caractéristiques attachées à ce type de service Â»;Les juges relèvent également que: « ce néologisme n’a aucune signification dans le langage courant pour désigner des services de location de voitures et ne correspond pas à un mode habituel de désignation de ce type de service ou de l’une de ses caractéristiques Â». Dans cette affaire, les éléments déterminants en faveur de la distinctivité de la dénomination AUTOLIBERTÉ semblent avoir été les suivants :-          Le caractère simplement évocateur de la dénomination-          Le fait que cette dénomination n’ait aucune signification dans le langage courantSur le premier point, les juges d’appel distinguent ainsi les néologismes exclusivement évocateurs de ceux qui désignent ou décrivent Â« un genre particulier d’activité, de produit ou de service Â».Concrètement, quelle est la frontière entre ces deux catégories ? L’on peut difficilement répondre à cette question de manière générale mais en se rattachant au cas d’espèce, il est possible de considérer qu’une marque évocatrice d’une grande idée ou valeur ( telle l’idée de liberté en l’espèce) a plus de chances d’échapper à la nullité pour défaut de distinctivité.En effet, du fait de leur caractère abstrait, ces grandes idées et  valeurs telles la liberté, l’égalité, la solidarité, le partage, le bonheur… n’ont pas de rapport direct avec une activité économique concrète et précise.Une exception toutefois ; une marque qui évoquerait l’idée de solidarité, de partage ou d’égalité pour désigner les activités d’associations caritatives ou humanitaires pourrait être considérée comme descriptive dans la mesure où ces idées sont ici descriptives des caractéristiques attachées à cette activité.Sur le second point, les juges ont été sensibles au fait que la dénomination en cause n’ait pas de signification dans le langage courant. Ils relèvent ainsi que : Â« le terme AUTOLIBERTÉ n’existe pas dans la langue française ainsi qu’il en est justifié par la production de dictionnaires Â».Cela nous semble particulièrement raisonnable dans la mesure où un terme n’ayant aucune signification en langue française ne saurait constituer la désignation usuelle d’un produit ou service pas plus qu’il ne saurait en désigner une caractéristique.Malgré cette jurisprudence , nous vous recommandons de préférer un signe fortement distinctif à un signe évocateur. En effet, les juges procédant à une appréciation in concreto et au cas par cas, il est impossible de garantir qu’un néologisme même a priori simplement évocateur échappera au vice de descriptivité. A titre d’exemple, la dénomination « Dermo Esthétique Â» pour désigner des produits de beauté a été jugée distinctive par certaines juridictions mais descriptives  par d’autres.De plus, la jurisprudence française et communautaire attribue aux marques évocatrices une protection plus limitée. En effet, selon une jurisprudence constante :  Â« plus le caractère distinctif de la marque antérieure est fort, plus le risque de confusion est élevé Â». A contrario, un signe faiblement distinctif bénéficie certainement d’une protection à l’égard des signes identiques mais plus de manière plus douteuse  Ã  l’égard des signes similaires.  Ainsi par exemple, dans une décision du 03/12/2010, la Cour d’appel de Paris a considéré que  la marque LA MAISON CONTEMPORAINE était distinctive pour des meubles et objets de décoration, celle-ci étant tout au plus évocatrice pour le consommateur de la qualité ou de la destination de ces produits. Néanmoins, le titulaire de cette marque n’a pas réussi à obtenir l’interdiction d’usage de cette dénomination sur des brochures publicitaires et sur un site internet, cet usage n’ayant selon la Cour pas pour but de distinguer les produits commercialisés, mais cette expression étant utilisée dans son acception courante pour désigner un type d’environnement intérieur. Réf. : EUROPCAR INTERNATIONAL SAS et EUROPCAR France SAS c. LYON PARC AUTO LPA , CA PARIS 11/06/2014