Google Adwords / Décision « Interflora » de la CJUE C-323/09

11.10.2011

La Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) vient de délivrer, le 22 septembre dernier un nouvel arrêt relatif à l’utilisation du service « Google Adwords » (CJUE, 22/09/2011, Interflora Inc. c/ Marks & Spencer plc., C-323/09).



Ce service de référencement proposé par la société Google Inc. permet à tout opérateur économique de publier, moyennant contrepartie financière, une annonce dotée d’un lien Internet lorsque l’utilisateur du moteur de recherche Google entre un ou plusieurs termes particuliers.

Ces annonces sont affichées soit au-dessus de la liste de résultat de la recherche Google de l’internaute soit sur le coté droit, généralement sur fond beige.

L’affaire qui nous intéresse oppose ici la société américaine Interflora Inc., spécialisée dans la livraison de fleurs, et la société Marks & Spencer (M & S), une chaîne de magasins anglais.

Cette dernière propose notamment des services de livraison de fleurs, lesquels sont bien évidemment concurrents de ceux de la société Interflora.

Aussi, dans le cadre du service « Google Adwords Â», M & S a sélectionné les termes et expressions « INTERFLORA Â», « INTERFLORA FLOWERS Â», « INTERFLORA DELIVERY Â» ou « INTERFLORA.COM Â» pour la publication d’une annonce relative à ses services de livraison de fleurs.

Par conséquent, lorsque l’internaute entrera ces différents mots clés dans le cadre d’une recherche sur Google, une annonce présentant les services de M & S apparaîtra.

Il faut noter à ce titre que les marques INTERFLORA disposent d’une forte notoriété au Royaume-Uni et dans de nombreux pays européens.

La société Interflora Inc. a décidé d’agir à l’encontre de la société M & S pour violation de ses droits sur les marques INTERFLORA et a donc déposé un recours devant la High Court of Justice.

Cette dernière interroge ainsi la CJUE par le biais de questions préjudicielles.

Pour rappel, ce type de procédure permet à une juridiction d’un état membre de l’Union Européenne d’interroger la CJUE sur l’interprétation du droit communautaire. La CJUE ne tranche en aucun cas l’affaire, c’est à la juridiction nationale de le faire en s’appuyant sur les réponses apportées par la CJUE. Ces réponses peuvent bien évidemment être prises en compte par d’autres juridictions dans le cadre d’affaires similaires.

C’est pourquoi la présente décision revêt une importance cruciale puisque le service « Google Adwords Â» est la première source de revenus de la société Google Inc. Aussi, c’est tout simplement le modèle économique d’une des plus grandes entreprises du secteur de l’Internet qui pourrait être remis en cause ou au contraire renforcé.

Dans son arrêt en date du 22 septembre 2011, la CJUE rappelle en premier lieu que « le titulaire de la marque est habilité à interdire ledit usage seulement si celui-ci est susceptible de porter atteinte à l’une des fonctions de la marque Â».

En outre, la CJUE indique que la fonction principale d’une marque est « l’indication d’origine Â», même si d’autres fonctions peuvent lui être attribuées, notamment « la fonction de publicité Â» ou « la fonction d’investissement Â».

La CJUE a donc analysé si, dans le cadre d’une annonce « Google Adwords Â», l’utilisation par un tiers, et notamment un concurrent, d’une marque d’autrui comme mot clé porte atteinte aux différentes fonctions de la marque.

Or, la jurisprudence dans des affaires similaires indique qu’il y a atteinte à la fonction d’indication d’origine « lorsque l’annonce ne permet pas ou permet seulement difficilement à l’internaute normalement informé et raisonnablement attentif de savoir si les produits ou les services visés par l’annonce proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, d’un tiers Â».

La juridiction communautaire estime en l’espèce que « le public pertinent est composé d’internautes normalement informés et raisonnablement attentifs. Dès lors, le fait que quelques internautes ont pu avoir des difficultés à saisir que le service fourni par M & S est indépendant de celui d’Interflora ne suffit pas pour constater une atteinte à la fonction d’indication d’origine Â».

Par ailleurs, bien que la CJUE considère que le titulaire de la marque « devra intensifier ses efforts publicitaires pour maintenir ou augmenter sa visibilité auprès des consommateurs Â», cet état de fait ne suffit pas « pour conclure qu’il y a atteinte à la fonction de publicité de ladite marque Â».

En effet, de telles annonces ont « pour simple but de proposer aux internautes des alternatives Â» par rapport aux produits et services des titulaires des marques et « la sélection d’un signe identique à une marque d’autrui dans le cadre d’un service de référencement (…) n’a, par ailleurs, pas pour effet de priver le titulaire de cette marque de la possibilité d’utiliser efficacement sa marque pour informer et persuader les consommateurs Â».

Enfin, selon la CJUE, la fonction d’investissement d’une marque est remise en cause si son usage par un concurrent « gêne de manière substantielle l’emploi, par le (…) titulaire, de sa marque pour acquérir ou conserver une réputation susceptible d’attirer et de fidéliser des consommateurs Â».

En outre, « dans une situation où la marque bénéficie déjà d’une telle réputation, il est porté atteinte à la fonction d’investissement lorsque l’usage par le tiers (…) affecte cette réputation et met ainsi en péril le maintien de celle-ci Â».

Aussi, l’usage d’une marque par un concurrent ne peut être interdit « si cet usage a pour seule conséquence d’obliger le titulaire de cette marque à adapter ses efforts  pour acquérir ou conserver une réputation susceptible d’attirer et de fidéliser les consommateurs Â».

La High Court of Justice devra donc, au regard de l’analyse de la CJUE, vérifier si l’usage du signe INTERFLORA par M & S contrevient au droit de la société Interflora et porte atteinte aux différentes fonctions de la marque.

Les marques INTERFLORA étant dotées d’une certaine notoriété, la High Court of Justice a également interrogé la CJUE au sujet de notions relatives à la protection de marque renommée telles que la « dilution Â» (préjudice au caractère distinctif de la marque) et le « parasitisme Â» (profit tiré du caractère distinctif ou de la renommée de la marque).

Tout d’abord, la Cour a considéré que l’usage de la marque renommée INTERFLORA par M & S  peut entrainer la dilution de cette marque si un tel usage « conduit progressivement les internautes à croire que ce terme n’est pas une marque désignant le service de livraison de fleurs fourni par les fleuristes du réseau d’Interflora, mais constitue un terme générique pour tout service de livraison de fleurs Â».

Par conséquent, la CJUE recommande à la High Court of Justice de déterminer si la capacité distinctive de la marque en question n’est pas réduite par l’usage de M & S ou si cet usage permet simplement d’attirer l’attention de l’internaute sur l’existence d’autres produits ou services que ceux proposés sous la marque INTERFLORA et ce sans en altérer le caractère distinctif.

Dans un second temps, la CJUE considère que l’utilisation par un concurrent d’une marque renommée comme mot clé dans le cadre d’un service de référencement sur Internet serait parasitaire seulement si les produits en cause sont « des imitations Â» des produits du titulaire de la marque. Il ressort donc qu’un tel usage pourrait être autorisé si les produits ou services en questions sont seulement similaires.

En tout état de cause, le juge communautaire conclut en indiquant que « le titulaire d’une marque renommée n’est pas habilité à interdire, notamment, des publicités affichées par des concurrents à partir de mots clés correspondant à cette marque et proposant, sans offrir une simple imitation des produits ou des services du titulaire de ladite marque, sans causer une dilution ou un ternissement et sans au demeurant porter atteinte aux fonctions de la marque renommée, une alternative par rapport aux produits ou aux services du titulaire de celle-ci Â».

Le juge ajoute même qu’« un tel usage relève, en principe, d’une concurrence saine et loyale dans le secteur des produits ou des services en cause et a donc lieu pour un « juste motif Â» ».

Par conséquent, La High Court of Justice devra se prononcer sur les différents cas de figure délimités par la CJUE, à savoir si l’usage du signe INTEFLORA par M & S porte atteinte aux fonctions d’indications d’origine, de publicité ou d’investissements des marques d’Interflora Inc., si cet usage entraîne une altération de la distinctivité de ces mêmes marques et enfin si les services proposés par M & S sous l’annonce en cause représentent pour le consommateur une réelle alternative ou seulement une imitation sommaire de ceux d’Interflora.